« Ma parole! »: filmer le conte

31 Mai 2021

Nos activités

La question était déjà bien présente dans le milieu du conte avant la pandémie. Comment filmer le conte? Comment traduire par la vidéo cet art fondamentalement vivant, qui prend racine dans la présence et dans la relation entre un artiste et son public? On peut dire que la dernière année nous aura forcés à accélérer un peu la cadence de nos réflexions, et à se mettre en action pour tenter des réponses.

Le projet « Ma parole! histoires contagieuses », orchestré en collaboration avec le Festival interculturel du conte de Montréal et les Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles, fut en quelque sorte une tentative de réponse à cette question plutôt colossale.

 

La vidéo comme témoignage

Dès le départ, nous avions le fort sentiment que la captation d’une prestation ne pourrait jamais reproduire parfaitement l’expérience d’une prestation en présence. Nous avons donc choisi de développer un objet artistique distinct, qui ne tenterait pas de reproduire l’art du conte – encore moins de le remplacer – mais plutôt d’en témoigner, avec autant de justesse que possible.

Ainsi, plutôt que de simplement capter une prestation, nous avons voulu dresser une sorte de portrait de l’art du conte, témoigner de l’expérience vécue lorsqu’on assiste à un moment de conte, dans son entièreté. L’approche était en quelque sorte plus proche du documentaire; il nous fallait montrer non seulement la prestation elle-même, mais tout ce qu’il y a autour, qui permet à la magie d’opérer.

Il nous est donc rapidement apparu essentiel qu’il y ait un public sur place, pour mettre en scène ce caractère vivant, et relationnel du conte. À partir de ce moment, nous étions conscientes qu’il y aurait deux niveaux de « spectateurs » : ceux qui assisteraient au spectacle de conte, en présence; et ceux qui seraient témoins de cette rencontre, en ligne.

Le tournage n’était donc plus simplement un tournage; c’était aussi un spectacle en soi. Le public, sur place, a eu droit à un micro-spectacle de trois contes, lors duquel le conteur s’adressait directement à lui, et non à la caméra. Un seul de ces contes devait faire l’objet de la capsule vidéo, mais tout le reste nourrissait l’objectif en contribuant à bâtir une ambiance, une relation – cet aspect si précieux de l’art du conte dont on souhaitait témoigner. On savait donc, dès le départ, que le public en ligne ne serait pas captivé par les histoires de la même manière que s’il avait été sur place. Mais on espérait qu’il puisse ressentir, à travers l’écran, cette magie un peu intangible que l’on tentait de capter.

En renonçant à faire une captation, nous avons peut-être contourné la question initiale. Nous n’avons certainement pas trouvé la manière de placer une caméra entre le conteur et son public sans modifier la relation qui les unit. Notre objectif était plutôt de montrer, de raconter l’art du conte, d’en donner ou d’en nourrir l’envie, dans un contexte où l’on en était privés.

 

Fabriquer du « vrai »

En choisissant de tenir un événement double, à la fois tournage et spectacle à part entière, on s’est un peu compliqué la vie. Puisqu’il fallait préserver les spectateurs sur place de la lourdeur technique du tournage, suffisamment pour ne pas miner leur expérience d’écoute. Et réciproquement, il fallait s’assurer de tirer du spectacle les images dont nous aurions besoin pour réaliser une vidéo intéressante.

Il nous fallait trouver l’équilibre entre les besoins du spectacle et les besoins du tournage, faire des compromis des deux côtés – sans pour autant renoncer aux éléments essentiels de chaque univers.

Chaque équipe a navigué à sa manière pour trouver cet équilibre, en assumant les avantages et les désavantages de ses choix. Ici, pour ne pas risquer de distraire le public, ni le conteur, on a choisi d’opter pour des plans fixes durant les moments de conte, renonçant du même coup à un dynamisme qui aurait peut-être rendu la capsule plus attrayante, au profit d’un environnement propice à l’écoute. Parfois, on a tourné quelques plans en mouvement en marge du spectacle, en demandant la complicité des spectateurs, qui sont devenus en quelque sorte des personnages à part entière de nos vidéos. Là, on a opté pour les mouvements de caméra tout au long du spectacle, en s’assurant d’un minimum de discrétion.

Les mêmes enjeux se sont présentés au moment du montage. Malgré que nous étions conscientes que les vidéos n’auraient pas le même caractère immersif qu’un spectacle en présence, il nous a rapidement semblé que la représentation du conte à l’écran exigeait un rythme beaucoup plus lent que celui que la vidéo propose généralement. Pourtant, il fallait un minimum de dynamisme dans le montage pour maintenir l’attention du public en ligne – alors qu’en salle, le regard du public se pose généralement sur le conteur pour y rester. Il fallait jongler avec deux systèmes d’attentes : celles que l’on a envers le conte, et celles que l’on a envers la vidéo, qui sont somme toute extrêmement différentes.

Il nous semblait aussi essentiel de proposer une qualité technique impeccable, pour que l’attention des spectateurs en ligne ne soit pas troublée par des problèmes d’image ou de son. Pour cette raison, le son des vidéos ne tente pas de reproduire le son entendu par les spectateurs sur place – il s’apparente en fait davantage au son entendu par l’artiste que par le public. Une voix proche, qui permet, peut-être, de suggérer l’intimité qui se déploie lors d’un moment de conte en présence.

Au final, nous avons compris qu’il est impossible (ou du moins insuffisant) de « capter » parfaitement le réel, puisque la vidéo possède ses codes et son langage, qu’il faut savoir utiliser pour communiquer efficacement. Pour donner l’illusion du vrai, il faut bien souvent le fabriquer.

 

Raconter une histoire

Au-delà de la simple captation, nous souhaitions dire quelque chose sur le conte, raconter une histoire. C’est à partir de ce moment que nous devions nous en remettre à nos équipes de réalisation.

Après avoir communiqué à nos réalisateurs ce que nous voulions dire au sujet du conte, nous leur donnions le mandat de traduire cela en film, de proposer quelque chose avec le langage cinématographique qui permette de raconter l’histoire que l’on souhaitait raconter.

Chaque réalisateur a tenté de raconter cette histoire à sa manière, et les trois résultats sont somme toute très différents.

 

La réaction des spectateurs s’est rapidement imposée comme l’un des sujets – et peut-être le plus important – de nos vidéos. Nous faisions ainsi du public un personnage central de l’histoire; un personnage auquel on pourrait s’identifier. Dont on pourrait, peut-être, ressentir l’était d’esprit.

Rapidement, nous avons pris conscience du défi de taille que représentait le désir de montrer plutôt que de dire les choses – show, don’t tell, dit-on. Puisqu’une bonne part de ce que nous espérions communiquer relevait de l’intangible, voire de l’invisible. Comment montrer ce qui se passe dans la tête, dans l’imaginaire d’un spectateur?

Toutes les réactions ne se perçoivent pas de la même façon. S’il est facile de représenter un public qui rit, il est plus difficile de communiquer l’écoute attentive d’un public captivé par l’histoire.

 

Somme toute, le projet « Ma parole! Histoires contagieuses » nous a permis de plonger dans de nombreuses questions, auxquelles nous n’avons pas la prétention d’avoir trouvé une réponse. Nous avons plutôt le sentiment d’avoir ouvert des portes, proposé des pistes.

On ne peut qu’espérer que cette initiative pourra alimenter les réflexions du milieu, et que nous continuerons, ensemble, d’expérimenter, de chercher, et de tenter des réponses.

Retour au blogue
X