Calfeutrage d’automne pour passer l’hiver
25 Oct 2020
Festival Les jours sont contés
un texte de François Lavallée
25 octobre 2020, 16h07.
En regardant par la craque
entre les deux rideaux noirs,
je vois mon monde.
Une manière de parler
car je ne les connais pas encore.
Certains sont déjà assis
arrivés tôt pour être au plus près
et attendent,
le regard perdu derrière l’horizon.
Ça sourit, ça discute,
ça se prend la main,
ça prend une bière,
un verre de vin.
Deux amoureux qui se caressent les jointures,
des jeunes parents sans leurs enfants,
des têtes blanches qui en ont vu d’autres
et pourtant qui reviennent encore,
des preneux de chance qui connaissent pas,
des habitués aux voyages organisés pour l’imaginaire
des amis que je prendrais dans mes bras.
C’est avec eux
en dialogue
qu’on va tous partir.
Ça c’est le monde que je nous souhaite.
C’est la part vivante dans le spectacle.
Sur la scène,
je vois plutôt
un monde à construire.
Un monde qui se fabrique toujours à partir de deux questions :
avec quoi j’arrive? et avec quoi je repartirai?
La lumière de la salle descend doucement
comme un soleil de fin de journée
sur une friche des cantons.
Planté au milieu de la plaine
son pied accroché au plancher de scène
mon micro Edwina Ear trumpet
mon compagnon.
C’est là
que j’avance sans abri
sans couverture d’assurance
qu’avec quelques grenailles de confiance
dans mes poches trouées.
Que je dépose mon bagage.
Qu’on s’apprivoise,
que le silence nous en dit plus qu’on le pense.
C’est par lui que je veux vous sentir.
Le plancher qui craque,
un verre qui claque,
c’est la vie qui s’invite dans le spectacle.
Je suis un caribou
j’vous l’dit
j’ai mal à la patte.
Dehors, il fait froid.
Je marche.
Il n’y a que la pierre,
la terre et le vent.
J’ai faim.
J’ai soif.
J’prendrais une bière noire!
Un dernier verre avant de partir.
Je signe avec ma patte poilue
mon Testament d’un mammifère.
Comme on dit dans le milieu de la vie
c’est pas que j’vous aime pas
mais j’ai de la route à faire.
Et là,
y en a un qui se lève
en plein silence.
C’était pas prévu avec le gars des contes.
En pleine construction d’image
une sacrée belle en plus qui ressemble à de la poésie.
J’le vois dans’ pénombre
à deux mètres de la lumière.
Il a même pas fini son verre.
Sa chaise qui grince
son manteau qui claque comme une voile.
Il trouve pus sa place dans le silence.
Pas d’excuses aux gens autour.
Vas y le grand, fais comme si t’étais pas chez vous.
Comme si tu faisais pas partie de la gang.
Je te vois l’effronté du front jusqu’au cou
ta calvitie brille dans le peu de lumière
mais dans ton crâne
ta quarantaine frappe
de ses immenses vagues à l’âme
sur tes quatre murs sans fenêtres.
J’continue.
Je parle
comme si de rien était
ou j’arrête
pour prendre la mesure du vrai?
J’suis tellement content d’être là.
Ça fait des mois.
Lui i’ va à l’envers du monde
i’ remonte le courant de la rivière
i’ défie la règle du spectacle
le quatrième mur craque comme un barrage
i’ marche la face à -40 dans le vent.
Il faut calfeutrer.
J’ai besoin d’assurance.
Y a-tu un vendeur d’assurances dans la salle?
Je cherche les OK
dans les yeux de notre monde.
OK dans les yeux amoureux
OK dans les yeux cernés
OK dans les yeux ridés
OK dans les yeux habitués
OK dans les yeux curieux.
Je me dis que ça se peut pas.
On peut pas faire semblant.
Dites-moi pas que le public du Camillois
est en réalité le Club Optimiste de St-Camille
pour qui un gars qui se lève en plein spectacle
en faisant grincer sa chaise
ne change rien à l’affaire.
Ça change tout.
C’est le conteur qui vous le dit.
Tout le monde est toujours là
C’est eux ou c’est moi?
En réalité,
c’est lui qui est plus là.
Une chaise vide
une distanciation toute personnelle
qui ne me concerne pas
mais qui me touche quand même.
Qu’est-ce que j’ai fait?
Qu’est-ce que j’ai pas fait?
Un peu de lumière s’il vous plaît madame la technicienne.
Respire mon gars.
D’un coup qu’i’ revient
qu’i’ retourne de bord rendu au chemin
le temps d’une pisse
d’une cigarette
d’une bouffée d’air.
Pourtant devant moi,
c’est le Club Optimiste.
Celui à l’épreuve des tempêtes.
Le club pour qui ça va bien aller
qui m’a remis le troisième prix
du concours oratoire en 1985.
Ils sont toujours là.
C’est là que je pars
que je décolle dans mes pensées complotistes.
Le Club Optimiste de Saint-Camille
c’est peut-être juste du monde payé
par le CIUSS de l’Estrie
pour m’accompagner dans mes brumeux états d’âme.
Merci de prendre soin des travailleurs autonomes.
Mais non, ils ne respectent pas la distanciation.
Ils rient et pleurent des gouttelettes volatiles
qui décorent l’espace en suspension
comme des territoires imaginaires dystopiques.
Il n’ont même pas de masques.
S’ils étaient engagés
ils mettraient un masque, une visière, des lunettes.
Je ne suis pas si bien.
Sans regarder derrière
je cours dans mon histoire
marche marche vite
le pont Jacques-Cartier, le trafic
l’automne, les champs, Chambly
le canal, Iberville de mon enfance
ma mère qui me propose un lift
les parachutistes de Farnham
au loin l’Amérique des Républicains
marcher encore
le chemin de terre, Dunham
et encore
un feu
des amis d’amis
des étincelles dans la nuit
réconfort
des ampoules aux pieds
des histoires encore.
Retour à la maison.
C’est pas que j’vous aime pas
mais j’ai de la route à faire.
Avec ma blonde, mes trois grands
retour au nid où tout est là.
Applaudissements
optimistes.
J’prends une poignée de chips dans la loge
pour voir si je goûte encore.
Ça goûte le faux ketchup.
Au mur des affiches vivantes
d’inspirantes paroles passées par là,
des soeurs et frères de mots et d’idées.
Sentez-vous embrassés tendrement.
J’embarque dans mon char.
J’roule.
Sur la route de Stoke.
À quelques kilomètres de St-Camille.
Dans le soleil qui se couche
sur une friche des cantons
une silhouette
un crâne luisant comme un panneau solaire.
Ralenti comme dans un film.
J’arrête quand la fenêtre du passager
est juste à ses côtés.
J’baisse la fenêtre et juste assez le son
d’la toune Calfeutrer les failles de Tire le coyote.
J’le regarde.
I’ me regarde.
On se regarde.
Comme si on se connaissait.
Comme si on s’était tout dit.
– Tu vas où?
Il sourit.
– Tierra del Fuego.
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